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Parole d'expert : Thomas NOEL, Droit du travail - Factorhy Avocats
Inaptitude physique et recherche du reclassement : dans quel cas l’employeur peut-il s’exonérer de son obligation de faire connaître au salarié déclaré inapte les motifs qui s’opposent à son reclassement ?
La procédure à respecter dans le cas où le salarié est déclaré inapte est souvent redoutée des employeurs tant celle-ci est semée de chicanes.
Qu'elle soit [1] ou non [2] d'origine professionnelle, l'inaptitude physique dans laquelle se trouve un salarié d'exécuter tout ou partie de son travail peut être constatée par le médecin du travail.
Lorsque le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur doit lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, au sein de l’entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.
La proposition de reclassement doit alors prendre en compte, après avis du comité social et économique (CSE) lorsqu’il existe[3], les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise. L’emploi ainsi proposé doit être aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail[4] . Mais lorsqu’il lui est impossible de proposer un autre emploi au salarié, l’employeur doit lui faire connaître par écrit les motifs qui s’opposent à son reclassement[5].
Selon la Cour de cassation, l’employeur doit faire connaître par écrit au salarié les motifs qui s’opposent à son reclassement avant d’engager la procédure de rupture du contrat de travail, c’est-à-dire avant l’envoi de la lettre de convocation à l’entretien préalable au licenciement (pour le cas d’un contrat de travail à durée indéterminée)[6]. A défaut, le salarié peut obtenir réparation du préjudice subi, étant précisé que cette indemnisation ne se cumule pas avec celle qui est due au salarié dans le cas où son licenciement serait par ailleurs jugé sans cause réelle et sérieuse[7].
Se pose toutefois la question suivante : l’obligation de l’employeur d’avoir à notifier au salarié les raisons qui s’opposent à son reclassement avant d’engager la procédure de rupture du contrat de travail est-elle absolue ?
Dans un arrêt en date du 24 mars 2021, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé pour la première fois que « L’employeur a l’obligation de faire connaître au salarié, par écrit, les motifs qui s’opposent au reclassement, lorsqu’il est dans l’impossibilité de lui proposer un autre emploi. Il n’est pas tenu de cette obligation lorsqu’il a proposé au salarié, qui l’a refusé, un emploi, dans les conditions prévues à l’article L. 1226-10 du code du travail »[8].
En d’autres termes, l’employeur ne doit faire connaître au salarié les motifs qui s’opposent à son reclassement avant d’engager la procédure de rupture du contrat de travail que dans l’hypothèse où les recherches de reclassement sont restées vaines et qu’aucun emploi de reclassement, conforme aux exigences légales, n’a pu être proposé au salarié.
En émettant cette solution (laquelle vaut aussi bien pour le cas d’une inaptitude professionnelle qu’une inaptitude non professionnelle, les textes applicables en la matière étant strictement identiques sur ce point[9]), la Cour de cassation fait une application littérale des dispositions de l’article L. 1226-12 du Code du travail (« Lorsque l’employeur est dans l’impossibilité de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent au reclassement »). Et, à vrai dire, une solution inverse aurait été illogique : le salarié qui a refusé la ou les offres de reclassement connaît nécessairement les motifs qui s’opposent à son reclassement…
Il n’en demeure pas moins que la portée de cet arrêt doit être appréhendée avec prudence.
D’abord, pour échapper à l’obligation d’avoir à notifier au salarié les raisons qui s’opposent à son reclassement, l’employeur devra bien évidemment s’assurer que l’emploi de reclassement proposé au salarié (et refusé par ce dernier) est bien conforme aux préconisations émises par le médecin du travail. Pour cela, il est recommandé en pratique de soumettre la proposition d’emploi de reclassement au médecin du travail, pour qu’il donne son aval, avant de la proposer au salarié.
Ensuite, on relèvera que dans cet arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation ne s’est pas prononcée explicitement sur la question suivante : l’employeur remplit-il ou non son obligation de reclassement lorsqu'il ne propose au salarié qu'un seul emploi de reclassement conforme aux préconisations du médecin du Travail ? Et pour cause, ce n’est pas la question à laquelle la Cour devait répondre.
On relèvera néanmoins que la haute juridiction prend le soin de motiver sa décision en rappelant l’intégralité des dispositions de l’article L. 1226-12 du Code du travail, modifiées par la loi Travail du 8 août 2016[10], qui prévoient à présent, notamment, que « l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi […] en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail »[11]. On peut s’interroger sur ce rappel intégral du texte, alors même que la Cour n’y était pas obligée pour répondre à la question qui lui était posée.
La Cour a-t-elle voulu laisser entendre que l’employeur remplit son obligation de reclassement lorsqu'il ne propose au salarié qu'un seul emploi de reclassement conforme aux préconisations du médecin du Travail ? Rien n’est sûr.
Confrontés à cette incertitude, les employeurs doivent donc rester vigilants. Il n’est pas certain en effet que la Cour de cassation souhaite remettre en cause sa jurisprudence actuelle selon laquelle le refus par le salarié d'un emploi proposé par l'employeur dans le cadre de son obligation de reclassement n'implique pas à lui seul le respect par ce dernier de son obligation. En effet, en l’état de la jurisprudence, il appartient à l’employeur d'établir qu'il ne dispose d'aucun autre poste compatible avec l'inaptitude du salarié. À défaut, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse[12].
Le débat sur ce point restant ouvert, les employeurs sont donc invités, par prudence, à faire de nouvelles offres au salarié inapte, jusqu’à épuisement des possibilités de reclassement, avant d’envisager le licenciement.
[1] Article L. 1226-10 du Code du travail.
[2] Article L. 1226-2 du Code du travail.
[3] Si le CSE n’est pas consulté, le licenciement subséquent est sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-11.974). L’employeur doit consulter le CSE même s’il n’identifie pas de poste de reclassement. A défaut, le licenciement subséquent est injustifié (Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-16.488).
[4] Cf. articles précités.
[5] Article L. 1226-2-1 et L. 1226-12 du Code du travail.
[6] Cass. soc., 20 mars 2013, n° 12-15.633 ; Cass. soc. 11 janvier 2017, n° 15-19.959.
[7] Article L. 1226-15 du Code du travail ; Cass. soc., 19 janvier 1993, n° 89-41.780 ; Cass. soc., 23 octobre 2001, n° 99-40.126 ; Cass. soc. 28 mai 2014 n° 13.11-868.
[8] Cass. soc., 24 mars 2021, n° 19-21.263, FS-P+I.
[9] Article L. 1226-2 et L. 1226-12 du Code du travail.
10] Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, article 102.
[11] L’article L. 1226-2 du Code du travail, applicable en cas d’inaptitude non professionnelle, est sur ce point rédigé de manière identique.
[12] Cass. soc. 29 novembre 2006, n°05-43.470 ; Cass. soc., 30 novembre 2010, n° 09-66.687.
Parole d'expert :
Thomas NOEL - Avocat of counsel, Droit du travail
cabinet Factorhy Avocats
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