Carrières à distance : comment le télétravail redéfinit la progression professionnelle ?
Témoignage

Parole d'expert de Timothée Meaupin, Chargé de mission RH - CCI Hauts-de-Seine

Certaines révolutions se font dans le fracas. D'autres, plus discrètes, s’invitent dans nos vies à travers des écrans, des câbles, des VPN. Le télétravail, qui appartient à cette seconde catégorie, s’est imposé comme un mode d’organisation pérenne lors de la pandémie mondiale de 2020. Une promesse de liberté devenue, en quelques années, un pilier des politiques RH.

Quand le télétravail réconcilie vie professionnelle et personnelle

Derrière cette apparente libération se cache un paradoxe : jamais les salariés n’ont semblé aussi autonomes, et pourtant jamais les carrières n’ont paru si fragiles. Car si le télétravail a libéré l’espace, il a aussi brouillé les repères, creusé la distance entre la présence et la reconnaissance. Mais au départ, il y avait un espoir. Un espoir de réconcilier temps de vie et temps de travail. Moins de trajets, plus de flexibilité, une productivité parfois accrue ! Autant de bénéfices qui ont redonné souffle et sens au quotidien professionnel. Le télétravail a permis à chacun de retrouver un rythme, de s’approprier ses journées, de rattraper le temps perdu dans les transports et de retrouver le silence de son domicile loin des open-spaces saturés. Mieux encore : le télétravail a diffusé l’autonomie, longtemps privilège convoité des cadres, à des sphères plus larges du salariat. Beaucoup y ont trouvé un équilibre nouveau, un espace d’efficacité, voire de créativité retrouvée.

Derrière l’écran, un fossé social et matériel

Malgré tout, cette liberté n’est pas universelle. Car tout le monde ne télétravaille pas depuis un beau bureau spacieux et lumineux. Certains jonglent entre les appels et les enfants, d’autres travaillent sur un coin de table, sans cloison ni silence, le dos courbé, le fessier endolori par le bois dur de sa chaise de cuisine. Le télétravail, loin d’être un acquis égalitaire, a révélé un fossé social et matériel profond : entre ceux qui disposent d’un environnement propice et ceux qui bricolent au quotidien.

La disparition des liens informels et du sentiment d’appartenance

Et à cette inégalité s’ajoute une solitude nouvelle. Les couloirs, les pauses café, les déjeuners improvisés, nombreux moments informels où se tissait le lien collectif, moments qui ont disparu derrière l’écran. Le travail s’est réduit à des tâches, des visioconférences, des échanges désincarnés. Et avec eux, c’est une part du sentiment d’appartenance qui s’est effacée. Le véritable enjeu se joue ailleurs : dans la visibilité ! Une carrière, ce n’est pas seulement une suite de compétences ou d’expériences. C’est aussi une présence : un regard croisé dans un couloir, une phrase échangée dans un ascenseur, une opportunité saisie au bon moment.

Moins présents, moins promus : le télétravail et l’injustice silencieuse

Le télétravail, en éloignant les corps, a bouleversé cette mécanique subtile de reconnaissance. Moins visibles, certains salariés deviennent aussi moins promus, car « les absents ont souvent tort ». Les études le confirment : les télétravailleurs à temps plein obtiennent, en moyenne, moins d’avancements que leurs collègues hybrides ou présents. Et cette logique touche plus durement encore les femmes, qui sont plus nombreuses à recourir au distanciel pour concilier les différentes obligations de leurs vies multiples. Ainsi, le télétravail, s’il n’est pas pensé, risque d’amplifier des inégalités déjà existantes. A contrario, il peut aussi être un formidable accélérateur de carrière. En donnant accès à des projets internationaux, en connectant des équipes dispersées sur plusieurs continents, il ouvre aussi de nouveaux horizons. Il développe l’autonomie, la rigueur, la capacité à s’auto-organiser, autant de compétences désormais essentielles pour évoluer. Le télétravail mets en jeu de nouvelles cartes : moins fondée sur la présence physique que sur la trace numérique, moins axée sur l’art de l’opportunité du couloir que sur l’art de l’écrit.

Savoir exister à distance : la performance à l’ère numérique

Les carrières appartiennent désormais à ceux qui savent exister à distance, par la clarté de leurs livrables, la tenue parfaite de leurs KPIs, la pertinence de leurs interventions et la qualité de leurs échanges virtuels (et de leurs connexion internet !). Mais cette mutation ne peut reposer uniquement sur les individus. Aux entreprises d’en faire une véritable politique d’équité. Trop d’organisations ont cru que le télétravail pouvait se pratiquer à la carte, sans cadre ni accompagnement. Or, sans règles partagées, les frustrations et les écarts se creusent. Les structures les plus avancées fixent désormais un cap clair : nombre de jours à distance, temps collectifs obligatoires, rotations de présence, moments de rencontre informels. L’objectif n’est plus d’opposer bureau et domicile, mais d’articuler les deux en un modèle hybride cohérent et inclusif.

Réinventer la mesure de la performance

Autre enjeu : la mesure de la performance. Tant que l’évaluation reposera sur la présence physique et le présentéisme, les télétravailleurs seront défavorisés. Il faut basculer vers une culture du résultat, de la confiance, et non du contrôle. Le télétravail n’est pas une absence, c’est une autre forme de présence, qu’il appartient aux dirigeants de reconnaître et de valoriser. Les Ressources Humaines jouent ici un rôle central : garantir l’accès équitable au télétravail, former les managers au pilotage à distance, prévenir l’isolement, et promouvoir des parcours de carrière justes. Car une entreprise qui néglige ses salariés à distance perd en cohésion, en innovation et en fidélisation. Et que les manageurs arrêtent la vanne dépassée du « X en télétravail, c’est plus télé que travaille ! ».

Le télétravail, ou la promesse d’un travail plus humain et évolutif

Le télétravail n’est pas un accident de l’histoire, mais une transformation structurelle. Il redessine nos façons de produire, de collaborer, d’apprendre et d’évoluer. La vraie question n’est plus de savoir s’il faut télétravailler, mais comment continuer à grandir dans un monde où le bureau n’a plus de murs. L’avenir se jouera dans la coévolution : celle des salariés, capables de s’adapter à cette nouvelle visibilité virtuelle ; celle des entreprises, prêtes à repenser la reconnaissance au-delà de la présence physique ; et celle des sociétés, cherchant l’équilibre entre innovation, équité et humanité. Car derrière le télétravail, c’est notre rapport au travail lui-même qui se réinvente : non plus seulement produire, mais se relier, évoluer, donner du sens. Et peut-être est-ce là, au fond, la plus belle promesse de cette révolution silencieuse !

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Le télétravail

Le télétravail est défini comme une forme de travail, hors des locaux de l’entreprise, utilisant les technologies de l’information et de la communication. Son application est subordonnée au respect de conditions réglementaires et conventionnelles.