Avez-vous déjà été confronté à la nouvelle tendance venue de l’ouest : le « quiet quitting » ?
Témoignage

Timothée Meaupin, Chargé de mission RH - CCI Hauts-de-Seine

Bien que le phénomène soit déjà bien implanté outre-Atlantique, le « quiet quitting » ou « démission silencieuse » semble aujourd’hui faire de plus en plus d’adeptes en France.

La « grande démission », cette expression qui renvoie à la situation du marché du travail aux Etats Unis durant l’année 2021, a été évoquée en France au premier trimestre 2022. En effet, le taux de démission effective en France s’élevait à 2,7 % (selon la DARES) durant cette période. Cependant, ce taux plutôt élevé en 2022 est à relativiser, dans un premier temps par sa nature cyclique : bas durant les crises, en augmentation en période de reprise et dans un second temps du fait que les tensions actuelles sur le marché du travail créent des opportunités pour les employés, susceptibles en retour de conduire à des démissions plus nombreuses. Mais malgré tout, le risque pour les entreprises de devoir subir cette « grande démission » sur le territoire français reste encore éloigné, à l’inverse d’une autre tendance importée d’outre atlantique, mise en scène sur les réseaux sociaux, qui semble avoir plus d’impact sur notre société. 

« Le quiet quitting » ! Un terme anglo-saxon qui signifie littéralement « démission silencieuse », et qui ne traduit pas le fait de démissionner, mais qui désigne le comportement d’un salarié qui se contente de produire le minimum d’effort au travail. Et si cette tendance est intéressante, c’est qu’elle arrive juste après la « grande démission », changement majeur postpandémique, qui a vu près de 4 millions de salariés en moyenne quitter leur emploi chaque mois en 2021 aux Etats Unis. Cette « grande démission » a eu lieu dans un contexte de tensions sur la flexibilité du travail et a été le symptôme de la réévaluation de la place du travail dans la vie des actifs dans une culture où ce dernier passe en priorité.  

Mais quid du « quiet quitting » ? Dans une période où la tension entre employeurs et employés est à son paroxysme, que l’inflation est en constante augmentation, que les conflits sociaux deviennent hebdomadaires, que la liste des métiers en tension sur le recrutement s’allonge, le « quiet quitting » désigne le comportement de salariés découragés, qui se contentent du minimum au travail, d’individus qui ne cherchent pas à se surpasser au travail et qui se contentent de répondre à la description de leur poste. 

Une grande partie des salariés souhaitent donner du sens à leur travail

Justifié diront certain ? Et pourtant, l’écart entre le travail prescrit dans une fiche de poste et le travail réellement effectué est nécessaire au bon déroulement de l’activité. Par ailleurs, nombreux sont les employeurs qui emploient, en ce sens, le terme « agile », le salarié doit pouvoir être capable de s’adapter à une situation ou une période de « rush ».  

Cependant, une grande partie des salariés se demandent pourquoi ils travaillent et souhaitent donner du sens à ce qu’ils produisent au quotidien. Surtout dans nos sociétés modernes qui se trouvent au bord de multiples crises écologiques, sociales, sanitaires et géopolitiques, nous pouvons aisément comprendre qu’un certain nombre de travailleurs s’interrogent sur le rôle qu’ils jouent. Et de nombreuses études font la lumière sur le fait que beaucoup de salariés sont démotivés lorsqu’ils travaillent pour des entreprises polluantes et peu investies sur les questions écologiques et sociales. D’ailleurs, d’autres études démontrent la perte de sens vécue par ceux qui ne voient pas l’utilité de leur travail. Des mots comme « bore out », « bullshit jobs » sont apparus. Cette crise de sens et de motivation est aussi liée à l’actualité qui met en exergue un sentiment de déclassement économique car ces dernières décennies ont été marquées par un frein au développement du pouvoir d’achat. Les salaires, dans de nombreux domaines stagnent depuis des années alors que la hausse des prix semble inarrêtable. 

Et nous aurions tort de penser que la démission silencieuse soit un phénomène nouveau, apparu durant cette décennie. En effet le sociologue Renaud SAINSAULIEU, dans les années 70 employait le terme de « retrait » pour qualifier les salariés qui s’impliquaient peu professionnellement pour profiter pleinement de leur sphère personnelle. Guy BAJOIT, dans les années 80, propose une interprétation des écrits de la typologie des réactions face au mécontentement d’Albert HIRSCHMANN et parle d’«apathie» pour dénoncer une détérioration de la coopération. Ainsi, au fil des ans, le « quiet quitting » semble être une manière de se protéger contre le manque de perspectives, contre le manque de reconnaissance, se protéger d’une profonde déception à l’égard de notre travail.  En soit, le principe de la « démission silencieuse » consiste à faire une différence nette entre son statut de salarié et son statut d’individu afin de pouvoir retrouver une forme de contrôle sur sa vie et investir son temps et son énergie ailleurs qu’au travail.  

Une démarche qui fait écho à la dernière étude du cabinet Gallup qui soulignait que 94% des salariés français ne sont pas ou peu engagés dans leurs entreprises, plaçant ainsi la France, parmi les pays européens, à la 37ème place sur 38, devant les italiens. Un désengagement qui se veut global en Europe puisque moins de deux salariés européens sur dix se sentent engagés au travail.  

Donc en réalité, le « quiet quitting » est le moyen pour une société civile qui ne croit plus dans les mythes économiques de promouvoir sa crise de sens, de proposer l’émergence d’un nouveau modèle plus équitable, moins économique.  

En effet, beaucoup de responsables politiques ne proposent plus de vision de la société, mais seulement des « réalités économiques » afin de justifier les nouvelles réformes. En clair, ce n’est plus lesdits responsables qui décident, mais la sphère économique qui justifie les décisions qui sont prises. Ainsi les salariés sont amenés à donner la priorité à la production économique, souvent aux dépens de leur vie privée, de leur santé mentale et de leurs relations sociales. Nous avons tous en tête les cas courants d’heures supplémentaires non payées, de la culture (très française) du présentéisme et de la performance permanente obligatoire.  

Mais la crise sanitaire nous a montré que mettre en suspens pendant plusieurs mois l’activité économique n’empêche pas le monde de tourner et qu’un véritable équilibre vie privée / vie professionnelle était possible. Par ailleurs, dans un monde du travail où il faut sans cesse être « force de proposition », se dépasser, être plus productif, le fait de faire simplement son travail, respecter les missions définies précisément dans un contrat entre le salarié et l’employeur est devenu une tendance. Tout le monde a entendu parler du « quiet quitting », cet anglicisme qui se définit comme le sentiment d’être perdant au regard de l’investissement dans son travail. Par ailleurs, le #QuietQuitting a percé sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok qui a enregistré 350 millions de vues de vidéos de salariés qui font le minimum au travail. Une tendance dont les médias parlent beaucoup, qui affole le monde économique, un signe annonciateur d’une baisse de la productivité, face à nos voisins toujours plus compétitifs. 

Les jeunes générations plus touchées par le quiet quitting

Mais plutôt que de s’inquiéter, il semble plutôt évident de s’interroger sur les logiques de surproduction, de surconsommation, de croissance permanente d’un autre temps qui peuvent justifier le manque de motivation des salariés. Peut-être aussi de comprendre autrement ce que veut dire « fin de l’abondance » et se demander pourquoi nos collaborateurs ne souhaitent pas s’épuiser en courant après la création de valeur éphémère. 

En effet, cette réalité économique semble à bout de souffle et ne semble plus savoir comment se réinventer pour s’adapter aux enjeux de la crise écologique et sociale, très importante aux yeux des jeunes générations qui arrivent sur le marché du travail et qui, selon une étude publiée le 11 novembre 2022 par la Fondation Jean-Jaurès en partenariat avec l’IFOP, serait la génération la plus touchée par le « quiet quitting ». Il serait intéressant de constater plutôt que pour 37 % des 18-24 ans interrogés par l’institut BVA pour la Fondation Jean-Jaurès et la Macif à l’occasion de leur baromètre sur « les jeunes et l’entreprise », l’idée de s’ennuyer et de ne pas être intéressé par son travail provoque une angoisse. Angoisse, manque de motivation, sentiments auxquels certaines entreprises ont décidé de répondre par plus de contrôle, plus de surveillance : et ce sont là les dérives du time monitoring, des logiciels de tracking, des managers qui répondent au manque d’horizon par plus d’objectifs et de reporting. Motiver ses troupes avec des tableaux Excel. Alors que d’autres structures choisissent de recréer un sens au labeur et tentent d’engager leur entreprise dans une nouvelle trajectoire, souhaitant ainsi sortir des impératifs de productivité pour proposer un modèle plus utile. Il apparait donc qu’une relation nouvelle et plus équilibrée entre employeur et employé, dans un contexte de pénurie, est née. Et les talents ont gagné du pouvoir et en sont conscients.  

Le quiet quitting : l'expression d'un besoin de reconnaissance ?

Cette prise de conscience se retrouve aussi dans la « démission silencieuse », en réponse au manque de reconnaissance, au traitement de faveur, à la mauvaise communication, aux interactions trop verticales et aux cas de management toxique bien trop nombreux. L’employeur, via ses équipes RH et les managers, se doit d’être à l’écoute de ses salariés. Ainsi, plusieurs entreprises ont ainsi lancé des chantiers sur des semaines de 4 jours, le télétravail, des congés illimités… Autant de projets qui ont pour but, à terme, de redynamiser la relation avec leurs salariés et surtout de favoriser l’engagement de ces derniers dans leurs sociétés.  

Alors si nous prenions un peu de recul sur le quiet quitting, constatons que ce n’est pas qu’une épidémie de flemme chez nos concitoyens, et l’usage du mot « démission » pour qualifier ce phénomène semble apparaitre comme un contresens, nous pouvons préférer à la rigueur parler de passivité rationnelle. Cette démission silencieuse semble être plus une évolution naturelle du monde du travail qu’une réelle rupture, car le « quiet quitting », ou l’art de se détacher de son travail, démontre peut-être un désintérêt, mais également une demande de reconnaissance. Car les salariés osent de plus en plus s’exprimer et il devient nécessaire de se rendre compte que le rapport de force entre les salariés et leur direction s’est vu modifié.  

Et les RH sont plus que jamais attendues pour faire face à ce nouvel enjeu. Le temps semble venu de redonner une véritable importance au mot « humaines » de la fonction et offrir à nos collaborateurs l’écoute, la bienveillance et la disponibilité qu’ils attendent de nous. Une attitude indispensable pour créer un climat propice à l’épanouissement professionnel. 

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