La transformation est donc bien engagée. Elle affecte l’organisation des métiers, modifie les tâches, et fait émerger de nouvelles compétences. Face à ces mutations, les entreprises doivent adapter leurs pratiques dans le respect du cadre juridique existant.
Deux sources juridiques principales s’imposent aujourd’hui en France pour les employeurs :
- Le Règlement européen AI Act (UE 2024/1689 du 13 juin 2024), qui encadre l’usage des systèmes d’IA sur le territoire de l’Union Européenne.
- Le Code du travail français, qui impose des obligations précises en matière d’information, de formation et de dialogue social.
Il découle de ces textes que les employeurs doivent, pour accompagner cette transformation des métiers :
- informer les représentants du personnel et les salariés ;
- former les salariés à l’usage de l’IA ;
- négocier et encadrer juridiquement l’utilisation de l’IA par les travailleurs.
L’AI ACT (article 26 §7) prévoit que :
« Avant de mettre en service ou d’utiliser un système d’IA à haut risque sur le lieu de travail, les déployeurs qui sont des employeurs informent les représentants des travailleurs et les travailleurs concernés qu’ils seront soumis à l’utilisation du système d’IA à haut risque. »
Cette obligation d’information et de consultation du CSE sur les impacts liés à l’IA se retrouve dans le Code du travail pour :
- Les consultations récurrentes (article L2312-17 du Code du travail – orientations stratégiques, situation économique et financière, politique sociale, conditions de travail et emploi, sans oublier les conséquences environnementales) ;
- Les consultations ponctuelles (article L2312-8 du Code du travail – notamment en cas d’introduction de nouvelles technologies) ;
- Lors de la mise à jour annuelle du document unique d’évaluation des risques professionnels (article L4121-3 du Code du travail).
En l’absence d’information-consultation ou en l’absence d’éléments suffisants, le CSE peut saisir le président du Tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond pour qu’il ordonne à l’employeur de communiquer les éléments manquants (article L2312-15 du Code du travail).
Par une ordonnance du 14 février 2025, le Tribunal judiciaire de Nanterre a enjoint l’entreprise de suspendre l’usage de son outil d’IA sous astreinte, jusqu’à l’achèvement de la consultation du CSE et l’a condamnée à verser une indemnité en réparation des préjudices subis (Tribunal judiciaire, 14 février 2025, n° RG 24/01457).
L’AI ACT (article 4) impose aux employeurs de prendre :
« des mesures pour garantir, dans toute la mesure du possible, un niveau suffisant de maîtrise de l’IA pour leur personnel et les autres personnes s’occupant du fonctionnement et de l’utilisation des systèmes d’IA pour leur compte, en prenant en considération leurs connaissances techniques, leur expérience, leur éducation et leur formation, ainsi que le contexte dans lequel les systèmes d’IA sont destinés à être utilisés, et en tenant compte des personnes ou des groupes de personnes à l’égard desquels les systèmes d’IA sont destinés à être utilisés. »
Ce principe fait écho à l’article L6321-1 du Code du travail, qui impose à l’employeur de maintenir l’employabilité des salariés, notamment face à l’évolution des technologies.
Les entreprises doivent donc intégrer des actions de formation à l’IA, notamment dans le cadre du plan de développement des compétences.
L’introduction de l’IA dans les processus de travail ne peut être unilatérale. Elle doit faire l’objet d’un dialogue social structuré.
Trois leviers juridiques sont à privilégier :
- Négociations collectives dédiées à l’IA
L’entreprise peut ouvrir une négociation spécifique sur l’encadrement de l’IA. À défaut d’accord, une charte interne peut être mise en place après information-consultation du CSE.
- Intégrer l’IA dans la GEPP
Pour les entreprises de plus de 300 salariés, la négociation sur la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) (article L2242-20 du Code du travail) devra, stratégiquement, intégrer les impacts de l’IA sur les métiers.
- Adapter l’organisation par accord
En cas de réorganisation liée à l’impact de l’IA sur les métiers, la négociation d’un accord lié à un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) pourrait être envisagé, fondé sur le motif de mutation technologique (article L1233-3 du Code du travail). Un accord de performance collective (APC) pourrait également permettre d’adapter le temps de travail ou la mobilité professionnelle aux nouveaux besoins (article L2254-2 du Code du travail).
La clé d’une intégration réussie de l’intelligence artificielle en entreprise repose sur une stratégie triptyque : Informer – Former – Négocier.
C’est à cette condition que l’IA pourra devenir un levier de performance et non un facteur de rupture sociale. Anticiper, associer les partenaires sociaux, le CSE et les salariés, et sécuriser juridiquement les déploiements seront les meilleurs réflexes pour tirer parti de cette révolution technologique.